Dans un groupe, l’engagement de chacun est une clé de l’intelligence collective. C’est ce qui nous a poussé chez 9 Sens à nous questionner sur l’impact du télétravail sur le niveau d’engagement des collaborateurs. Mais était-ce vraiment la bonne question ?
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Une des forces de l’intelligence collective, on le sait aujourd’hui, c’est de savoir rapprocher des points de vue multiples et surtout variés. Même si aucun point de vue pris individuellement n’est pertinent, la mise en commun d’approches parfois contradictoires permet de s’approcher de façon étonnement rapide et efficace d’une décision collective efficiente. Et sur ce point, Emile Servan-Schreiber nous rappelle même que c’est l’hétérogénéité des points de vue qui s’expriment au sein d’un groupe, plus que le nombre d’avis exprimés, qui contribue à la pertinence collective.
On comprends donc aisément que le désengagement d’un membre du groupe, en particulier si son avis est dissonant par rapport au consensus collectif, peut-être un problème pour le bon fonctionnement de l’intelligence collective. A une époque où le confinement et le travail à distance altèrent de manière évidente le niveau d’engagement des collaborateurs, il nous semblait important de traiter cette question.
Les réunions digitales altèrent le niveau d’engagement des participants.
Le sondage que nous vous avons proposé la semaine dernière avait pour objectif d’évaluer les causes du désengagement à distance avant de réfléchir à la manière de s’en prémunir.
Plusieurs choses me marquent dans ces résultats :
La fatigue visuelle et mentale si souvent évoquée à propos des réunions en visioconférence n’est pas ressentie comme la première cause de décrochage. C’est par contre le manque d’interactions humaines qui a marqué le plus de répondants. Je trouve intéressant de constater que malgré la violence imposée au corps (fatigue visuelle, immobilité corporelle) par la posture de télétravail, c’est l'appauvrissement du lien humain qui est le plus fortement ressenti au cours d’une réunion digitale. Je crois que le confinement nous permet simplement de prendre conscience que dans ce type de moments nous nous nourrissons d’habitude sans même nous en rendre compte de beaucoup de petites interactions (un échange de regard, de sourire, un contact, un aparté avec son voisin, etc…).
D’autre part, l’immobilité corporelle n’est ressentie comme un vrai problème que par 5% des répondants alors que de nombreuses études médicales démontrent le caractère traumatisant de notre posture en situation de visioconférence : Nous sommes anormalement statiques (pour ne pas sortir du cadre notamment), exclusivement concentrés et tendus vers un écran souvent trop petit et mal positionné. Nous maintenons une posture inadéquate qui transmet rapidement la tension oculaire au reste du corps. Le résultat du sondage est donc surement révélateur du manque de conscience que nous avons de notre corps, en particulier en contexte professionnel tertiaire. Nous avons prévu de dédier un article à cela dans notre série sur l’intelligence collective à distance.
Quoi qu’il en soit, la question que nous nous posons est : Si ces causes sont effectivement source de désengagement, quels moyens mettons nous en oeuvre pour nous en prémunir ?
Le participant engagé à 100% pendant toute la réunion n’existe pas
En nous posant cette question chez 9 Sens, nous nous sommes rendu compte qu’en pratique au cours de nos réunions et ateliers, nous cherchons d’abord à accueillir et à nous adapter aux baisses d’engagement des participants plutôt que de chercher à en anticiper et supprimer les causes (fatigue visuelle, manque de lien, …). En y réfléchissant un peu plus, nous comprenons que notre expérience « sensible » de l’animation nous amène à considérer la fluctuation du niveau d’engagement au cours d’une réunion comme un phénomène inévitable et même naturel. Que le réunion se tienne en présence ou à distance.
Pour ma part, je sais qu’il y a toujours des moments pendant une réunion où je vais être moins à l’écoute, moins disponible, moins en capacité de contribuer. Ces moments seront plus ou moins longs, plus ou moins handicapants selon mon niveau de forme, mais je sais qu’il y en aura toujours, même en petite quantité.
Partir avec l’objectif de maintenir l’engagement de chacun à 100% pendant toute la réunion serait donc faire peser un enjeu irréaliste et contre-productif sur cette réunion.
En intelligence collective, on apprend à travailler avec ce qui est vivant
Donc s’adapter plutôt que de cherche à prévenir les causes … oui, on est bien dans le paradigme de l’agile et de l’Intelligence Sensible qui est notre ADN chez 9 Sens.
Je repense à quelques situations, vécues récemment.
De plus en plus souvent, je ressens que la fatigue visuelle et l’immobilité handicape ma participation lors des échanges vidéo. Ces derniers temps, il m’arrive donc fréquemment de demander à quitter le flux vidéo (en coupant la caméra ou en sortant du cadre). Cela permet à mon corps de libérer naturellement certaines tensions. Cela me permet aussi d’écouter ce qui est dit avec plus d’attention car je me concentre sur l’audition. Mais ce que je trouve le plus intéressant, c’est que le groupe me demande parfois de rallumer la caméra lorsqu’il ressent par exemple le besoin de mieux comprendre ma position sur un point.
Un peu dans le même esprit, je ressens fortement en ce moment, combien j’ai besoin de mouvement quand je suis dans certaines réflexions, en particulier quand il s’agit d’être créatif (Cela me semble si important que je veux écrire bientôt un article dédié à ce sujet). Depuis que j’ai demandé l’autorisation de me lever, j’ai pris conscience à quel point cela pouvait me redonner de l’énergie, à quel point ma pensée qui semblait bloquée redevennait fluide. Je réfléchis depuis à un aménagement et à des solutions techniques qui me permettraient de participer à des réunions en visio tout en restant libre de mes mouvements.
Je me rends compte finalement que notre fonctionnement en intelligence collective respecte toujours trois principes (chez 9 Sens) :
Encourager et stimuler la connexion à son corps, à ses ressentis, à ses émotions. En matière d’engagement, l’idée est que chacun prenne conscience le plus tôt possible que sa posture le dérange par exemple, ou bien qu’il ressent une certaine lassitude, etc.
Verbaliser et partager ses ressentis et ses émotions. A propos de son engagement, il est essentiel d’informer le groupe de sa baisse d’énergie ou d'exprimer au contraire que l'on se sent submergé par une vague d’énergie, un afflux d’idée, un besoin de contribuer.
Accueillir les besoins exprimés et trouver ensemble des solutions pour y répondre. Le groupe apprend à faire avec les fluctuations du niveau d’engagement de ses membres.
Et nous nous appuyons beaucoup pour cela, sur l’outil que nous avons conçu : La Boussole Sensible qui nous permet d’évaluer chaque situation que nous vivons sur trois plans : rationnel, émotionnel et corporel. Nous l’utilisons presque en permanence aujourd’hui pour ajuster nos actions et décider (On vous en parle plus en détail dans un prochain article).
C’est valable même dans une réunion à deux. Avant-hier, par exemple, je travaillais avec Mahdi à notre action commerciale. Après 1h30 d’échange, il ressent dans son corps une baisse d'énergie et prend conscience que cela affecte son niveau de participation. Il ne cherche pas à forcer et me partage son ressenti et sa position en utilisant la Boussole Sensible. Comme j’accueille son besoin, il me propose de continuer en prenant des notes, ce qui est plus adapté à son niveau d’énergie, tandis que je finis de verbaliser les idées que notre échange a fait naître.
A distance ou en présence, le sujet de l'engagement reste une question à laquelle l'intelligence collective, lorsqu'elle fonctionne, sait très bien répondre.
Je vous disais en introduction que l’engagement de chacun est un point clé de l’intelligence collective. Plus que l’engagement, je crois finalement que ce qui est clé en intelligence collective, c’est la capacité du groupe à ressentir ce qui se passe en son sein (le désengagement d’un des participants par exemple) et à en tenir compte, à s’en servir pour adapter, orienter et même enrichir l’activité du groupe.
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