La première des raisons avancées par les managers que je rencontre pour justifier leur grande prudence vis à vis des émotions est que celles-ci touchent au corps et à l’intime, un territoire sur lequel ils·elles s’autorisent rarement à intervenir, à juste titre.
Je crois que cette raison révèle surtout la méconnaissance que nous avons de nos propres fonctionnements. Nous qualifions “d’intime" l’endroit d’où semble jaillir nos émotions. Un endroit essentiellement inconscient et donc mal défini, mais dont nous imaginons qu’il prend racine au coeur de notre être. Donc un endroit où se cachent aussi nos petites manies, nos fragilités, nos blessures, nos secrets inavouables. Un endroit qui ne doit surtout pas être exposé dans un espace professionnel aux normes sociales bien établies et souvent rigides. Un endroit que je ne suis pas sur de savoir refermer si je libère les émotions qui s’y cachent.
En réagissant ainsi, cependant, en cherchant à protéger à tout prix cette "inimité", j’oublie que mes émotions ne sont pas toutes provoquées par mes blessures d’enfance, qu’elles ne viennent pas toutes du "fond de mon âme". Mes émotions au contraire, loin de constituer une sorte de marqueur qui me distinguerait des autres, constituent le langage le plus universel qui soit (comme l’on maintenant démontré les travaux de nombreux sociologues, psychologues et neuro-scientifiques. Paul Ekman et Antonio Damasio notamment). Elles sont rattachées à l’expression de besoins que je partage avec tous les autres humains (besoin de sécurité, de respect, de justice, de repos, de partage, de croissance, de liberté, etc.).
Et c’est justement parce qu’elles nous ramènent à nos besoins communs et à notre humanité, que le partage des émotions est un excellent moyen de favoriser la cohésion, l’engagement et la performance au sein d’une équipe. Quel dommage que nous n’ayons pas appris à le faire simplement, sans risquer de libérer aussi des émotions beaucoup plus intimes, qui ne devraient quant à elles s’exprimer que dans un espace protégé ou dans le cabinet d’un thérapeute.
Ce constat a été l’un de nos principaux drivers lorsque nous avons créé chez 9 Sens un outil permettant d’écouter et partager ses émotions dans un contexte professionnel. Il permet à chacun de donner du sens à son ressenti à partir de quatre besoins universels qui s'expriment toujours en nous (se nourrir, créer, évacuer et se reposer). Ainsi, l’émotion peut être partagée de manière dédramatisée et compréhensible par tous. Elle ne dévoile pas son ancrage intime (s’il y en a un). Elle peut être déshabillée de tout jugement ou justification du type « Ton comportement m’attriste » ou « Je suis en colère contre … ». Et elle exprime une information qui peut souvent être pertinente dans le contexte professionnel (Je ressens le besoin de « produire » quelque chose », ou au contraire le besoin « d’arrêter » un fonctionnement qui n’est plus performant).
A suivre ...
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